Au bord du chaos, tenir debout : fragments d’un rêve brisé et reconstruit
- RAMITO 2023
- Sep 6
- 4 min read

Dans le tumulte d’une Haïti en crise, où l’insécurité et le chaos s’imposent comme un quotidien inévitable, naissent parfois des histoires qui forcent l’admiration. Celle de Wellington DERAMEAU en est une.
Mon histoire est celle d’un homme ordinaire porté par un rêve extraordinaire : celui de soigner, de servir, de tendre la main à ceux que la vie malmène. Mais ce rêve n’a jamais été un chemin pavé de roses. Il est né dans la poussière des salles de classe, dans les couloirs mal éclairés des hôpitaux publics, et il s’est forgé à coups de nuits blanches, de découragements et de renaissances silencieuses.
En 2016, j’ai obtenu mon diplôme de pharmacien. C’était une fierté, une victoire pour ma famille, un premier pas vers une vie stable. Beaucoup auraient arrêté là, mais pas moi. Car au fond, un constat s’imposait : la souffrance de mon peuple exigeait davantage. Mon sens d’engagement social, mon désir d’être plus utile encore à ma communauté me rappelaient sans cesse qu’il ne suffisait pas de délivrer des médicaments. Il fallait approcher la douleur humaine de plus près, soigner aussi avec mes mains, mes yeux, mon cœur. C’est ainsi que la décision s’est imposée : reprendre les bancs de la Faculté de Médecine et de Pharmacie ( FMP/UEH) pour poursuivre ce rêve ambitieux.
Ce fut une seconde naissance, mais une naissance douloureuse. Étudier en Haïti, dans un pays secoué par la misère, l’insécurité et le chaos, c’est accepter de marcher chaque jour sur une corde raide. J’étais partagé entre deux mondes : celui des cours et des examens, et celui du travail nécessaire pour survivre. Chaque journée était une lutte pour ne pas s’effondrer. Chaque nuit, un combat contre la fatigue, parfois contre les larmes.
Et pourtant, je continuais. Pourquoi ? Parce qu’au fond de moi, je portais ce feu ardent : la volonté d’être utile à ma communauté. De ne pas fuir mes responsabilités. De ne pas me contenter de regarder mes frères et sœurs mourir faute de soins.
Mais derrière cette détermination, il y avait la réalité : l’insécurité qui paralysait nos vies, les menaces des gangs, les hôpitaux parfois désertés, les professeurs absents, les patients affolés. Nous étions des étudiants, mais nous étions aussi des survivants. Nous avions choisi une route où l’espoir était notre seule monnaie.
J’ai connu la santé… et j’ai connu la maladie. J’ai soigné, et j’ai été patient. J’ai souri, et j’ai pleuré. Dans ces salles d’hôpitaux, il n’y avait pas seulement des instruments médicaux. Il y avait nos âmes, fatiguées mais toujours debout. Je me souviens de cette sensation étrange : parfois, en posant une perfusion à un patient, je sentais que j’aurais pu être à sa place. Et souvent, je l’étais réellement, allongé à mon tour, perfusé, mais décidé à me relever pour continuer.
L’internat fut une épreuve encore plus dure. Une traversée du désert dans un pays qui, au lieu de protéger ses jeunes médecins, les sacrifiait. Entre deux gardes, je voyais mes amis partir en exil, fuir les menaces et chercher ailleurs un avenir. Moi, je restais, enchaîné à une promesse que je ne pouvais trahir : servir Haïti, même dans ses ténèbres.
Je ne cacherai rien : il y eut des nuits de détresse absolue, des jours où l’idée d’abandonner me caressait comme une délivrance. Mais chaque fois que le découragement m’envahissait, je repensais au chemin déjà parcouru, aux sacrifices consentis, aux rêves partagés avec ma famille et ma communauté. Je me disais alors : « Tu n’as pas fait tout ce chemin pour rien. Tiens bon, car ton peuple a besoin de toi. » Et alors, je retrouvais la force, dans un sourire de patient, dans un merci murmuré, dans la lueur d’un regard sauvé.
Aujourd’hui, alors que je contemple ce parcours, je réalise que ce n’est pas seulement mon histoire. C’est celle d’une génération d’Haïtiens sacrifiés, mais debout. Nous avons connu la faim, l’insécurité, la fatigue, mais nous avons aussi connu la solidarité, l’amour, la dignité de ceux qui ne lâchent jamais.
Ces photos que vous voyez ne sont pas de simples instantanés d’un quotidien d’hôpital. Elles sont le miroir d’une génération de médecins haïtiens qui portent sur leurs épaules le poids d’un pays en ruine, mais qui refusent de plier. Elles racontent une épopée faite de fatigue et de dignité, de douleurs mais aussi de victoires silencieuses.
Car au-delà des blessures, une certitude demeure : ce chemin, aussi tortueux soit-il, forge une carrière, mais surtout une mission de vie. Chaque garde, chaque opération, chaque sourire arraché à la souffrance est une pierre posée dans la construction d’un avenir nouveau.
Wellington DERAMEAU n’est pas seulement un pharmacien devenu médecin. Il est le visage d’une jeunesse qui croit encore, malgré l’exil forcé, malgré les cicatrices, malgré l’abandon d’un État défaillant. Une jeunesse qui se tient droite, et qui refuse de renoncer à son peuple. Et si aujourd’hui tout semble chaos, demain reste possible. Parce qu’il y a, au cœur de cette histoire, une promesse : celle de revenir, de servir, de bâtir. L’avenir est incertain, mais il est ouvert. Car une chose est sûre : cette histoire n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer..
RAMITO
06/09/2025







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